carte
CHANDIGARH




22 juin - Chandigarh
Chandigarh ça n’a rien à voir. On a mis environ 5 heures pour faire les 200 km qui sépare cette ville du Pendjab, de Delhi. A la sortie de la capitale, j’ai découvert les montagnes d’ordures sur lesquelles fourmillent des gens travaillant à trier les matières recyclables je crois, c’est impressionnant. Le trajet en bus permet d’admirer le paysage de la région de l’Haryana, et de découvrir les films indiens et la qualité du matériel vidéo des bus. Je vois des rizières pour la première fois de ma vie. Les odeurs de la campagne ressemblent à celles que je connais. C’est à Chandigarh que M. a passé les mois précédant mon arrivée, elle semble s’y être plu, les gens de l’Alliance Française où elle donnait des cours l’apprécient vraiment et ça fait plaisir à voir ! Dessinée par Le Corbusier, puis agrandie dans le même esprit, la ville se divise en secteurs, délimités par de grandes et larges avenues, tout y est très espacé, tout semble un peu vide du coup. Il y a beaucoup plus de verdure et beaucoup moins de mendiants, et les vaches sont plus grosses. Tout y est plus propre aussi.

Le secteur 17 :

 


Le marchand de glaces (kulfi de 3 à 5 roupies : glaces à l'eau, donc déconseillées pour les pauvres petits occidentaux) :



Je découvre que les indiens peuvent avoir les yeux verts et que c’est très beau.
Je découvre aussi que certains, pour cacher leurs cheveux blancs, se teignent au hené (moins cher que la teinture) et se retrouvent donc roux...
Je découvre enfin les sikhs, pas si nombreux (2% de la population) mais remarquables.

Et puis les larmes me montent aux yeux quand c’est un brahmane qui pédale pour nous conduire je ne sais où. On les reconnaît à leur petite mèche de cheveux plus longue à l’arrière du crâne. Les brahmanes représentent la caste la plus haute dans le système hindouiste, et pourtant ils peuvent être riksaw-vala, je suis impressionnée. Comme quoi les castes n’ont pas l’importance que je croyais. Si au départ elles déterminaient le rôle social d’une personne, aujourd’hui celui-ci a pris le dessus sur la caste.


23 juin - Chandigarh
Le concept de « promenade » comme nous l’entendons ne semble pas exister ici. Je n’en reviens pas. Les gens tournent en rond sur un chemin tracé dans un parc. Et c’est ce qu’ils appellent « se promener ». Où est la liberté, le choix d’aller n’importe où, l’envie de voir où nous mène le vent, qui pour moi correspondent à ce que doit être une promenade. Mais comment puis-je déterminer ce que « doit » être une promenade ? Comment ma promenade ne peut-elle être la vôtre ?

 


24 juin - Chandigarh
Le Rock Garden est un jardin créé et décoré par un inspecteur de la voirie, à partir de débris et autres trucs récupérés. (Une pensée pour Picassiette).

  


J’y ai aussi découvert l’attirance et la fascination que les indiens ont pour nous, jeunes et blanches. Le bébé que l'on nous a tendu pour qu’il soit pris en photo avec nous, comme une fierté, une chance pour l’avenir, ou je ne sais trop quoi. Le décalage total entre mon intention de départ, celle de me fondre dans la masse, et cette impossibilité à laquelle je me suis heurtée dès le premier jour, ne sachant pas que ma couleur de peau pourrait à ce point me trahir un jour. Ne pas chercher à passer inaperçue, on vous repère à des kilomètres. Alors quand déjà on aime pas spécialement être dévisagée dans le métro, lorsqu’une foule entière se retourne interloquée à votre passage, ça fait peur. Surtout dans les régions où les gens sont le moins habitués à voir des touristes. Il y a de quoi être déstabilisé au début, même si on s’y fait assez vite, comme à tout. Le plus dur étant finalement de prendre des photos, car prendre la spontanéité, « l’instant décisif » semble compromis, puisque votre présence seule suffit à changer la donne, le décors, les mouvements, les expressions, les regards, votre présence change ce que vous vouliez respecter, attraper, prendre au vol, les gens posent pour vous et vous vous retrouvez con, à rêver d’être là sans être vu. Con aussi parce qu’on voulait prendre l’ailleurs en photo, prendre l’autre, la différence, et puis qu’on se retrouve encore une fois à se prendre soi-même, à travers le regard que l’autre porte sur nous, et que l’on a fixé dans la boîte. Pour finir sur la photo en Inde, disons que j’ai été tenté de prendre absolument TOUT en photo, tellement tout me semblait différent, chaque objet, et donc intéressant à prendre, pour ramener des preuves peut-être. Le sentiment de découverte. Mais les photos sont difficiles à prendre encore une fois, alors souvent on se retient, même si c’est frustrant ; mais parfois on se dit qu’on le regrettera, alors on les prend quand même, mais trop vite, et finalement elles sont floues ou mal cadrées, alors au retour on regrette de ne pas avoir davantage osé... Et puis il y a toutes les photos que l’on fait dans sa tête. Toutes celles non imprimées sur la surface sensible, mais sur sa sensibilité. La bouille de ce petit bébé dans le dos de sa mère, entre Leh et Thiksé, aux pommettes brûlées par le soleil, à la bouche pâteuse aux odeurs de bébé. De toutes façons on ne peut photographier les odeurs. Et parfois on se dit qu’il vaut mieux quand même.